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duo
Vers le cercle de lumière, le pianiste s'avance. Seul.
Dans cette cage blanche, nimbé de particules lumineuses, il entre . Lentement. Résolument. Il entre et il s'assied exactement au centre , sous l'astre artificiel. Il sait . je dis qu'il s'assoit mais cela n'est pas vrai, car en vérité, il se carre . Et puis, dans un mouvement de prestidigitateur, du sombre de sa chemise, il sort ses armes: son coeur de poète et ses longs doigts agiles.Dix armes acérées qu'il pose sur la machoire de l'autre, son coeur de poète battant déjà la mesure à venir.
En face, rien ne bouge. Il montre ses dents blanches , luisantes sous le soleil de scène, béates, étalées ,comme offertes. Il a l'air, comme ça, pétrifié dans un sourire mais c'est un rictus. Son corps , noir , crépusculaire,s'est allongé ,s'est entrouvert . Pas un fémissement . les cordes sont bandées , tendues jusqu'à la limite du silence , aux confins du tonnerre. Lui aussi, il sait.
Dans une seconde, commencera leur corps à coeur . Là, devant nous, mesdames, messieurs, le pianiste fera l'amour au piano. Il sera , pauvre réfugié amousique,tantôt flamboyant, chevauchant ce corps de félin sompteux ,sublime; tantôt misérable ivrogne, tanguant, vacillant devant cette beauté froide.Vous entendrez leurs souffles se mêler , devenir mélodie ou désaccord. Sans doute, prendront- ils leur temps , compteront-ils leurs silences avant de succomber. Vous verrez leurs deux corps s'encastrer l'un dans l'autre , inventer l'unisson; s'échapper à nouveau.
Dans un ultime effort, une main blanche s'élève , traçant une arabesque de notes entrelacées . Elle s'élève puis retombe , effleure encore une fois la nacre opalescente . Alors, mesdames et messieurs , dans la lumière crue unie au noir céleste , vous entendez la note dernière , monter comme un soupir et mourir,infinie. La jouissance du piano, l'orgasme du pianiste.
