Jacques

                      Parfois, je joue à jacques a dit. C'est une nouvelle version esthétique de ce jeu de cour enfantin.

Jac est nu.

Je le regarde.

Entre nous, une zone de lumière joue à ombrer les contours des objets et des chairs. Brune ma feuille de papier, blanche l'arête de son nez. Son grand corps d'homme se drape dans cette crudité d' albatre et dans ces replis obscurs que crée la lumière. Alors le jeu commence.

jac a dit dessine moi ce que tu vois et dans une immobilité statuaire, je vois le mouvement. Un mouvement de corps bien sûr mais aussi de l'esprit. car Jac voyage. Son corps est là, me faisant face. je vois sourdre imperceptiblement les tensions musculaires de ses jambes, de sa nuque. Il ne bouge pas. mais il "voyage intérieur" et dans sa grande bonté, dans  le don de son corps, il m'emmène dans son périple. Bercée par la douce chaleur de l'atelier, par le bruit couvert des bavardages et le grattement incessant du crayon, je pars avec lui. je ne connais pas de meilleur voyage que se fondre dans le corps de l'autre. Je découvre dissimulée dans l'ombre la rotondité d'un muscle, je la suis. c'est un petit chemin tout en courbes qui se termine sur l'angle de l'acromion et voilà le bombé du pectoral nimbé de blanc qui enserre un mamelon rosé. De lumière en ombre, de courbes en saillies, je me promène sur ce grand corps. Et puis Jac redit dessine moi ce que tu vois et la pause varie. Il devient obélisque , géant juché sur un escabeau agrippé à la poutre maitresse ou vieillard affaissé sur sa canne,les jambes pantelantes. il est hors d'âge, hors du temps, hors du solide. il est un voyage à lui tout seul: des continents et des landes de terres insulaires, des océans et des perles de sueur salée.C'est un bonheur et un honneur aussi de le dessiner.

 Un modèle à lui tout seul.