Je n'aime pas la vitesse , ni les chemins passagers, ni même et surtout qu'on me prenne du temps de vie pour des choses que je n'ai pas décidées. Ainsi, chaque matin, pour me rendre au travail, j'emprunte une petite route buissonnière. Cet étroit ruban serpente au coeur de la forêt solognote. Je ne crois pas qu'il l'enlaidisse comme une vilaine cicatrice de macadam. Non, au contraire, je crois que les années passant, la forêt a repris ses droits naturels sur ce chemin fort peu passager.
Ainsi, chaque jour, je m'avance sur ce tapis , remerciant par avance la nature de ce bonheur du jour changeant et sans cesse renouvelé.
Cet automne, les arbres ruisselaient d'or et de rouge , laissant glisser sur le sol une étole irrisée. De matin en matin, j'ai foulé cette rivière de feuilles virevoltante jusqu'à ce que les arbres s'immobilisent dans leur nudité hivernale. Bientôt, mon beau ruban s'habillera de blanc et de reflets transparents pour mieux réapparaître dans quelques mois paré de ce vert printemps qu'il est si difficile de rendre sur une toile.
Pas de feux tricolores donc, ni de klaxons malotrus, mais de loin en loin, un chevreuil bondissant ou le cerf , statue majestueuse et figée que je salue au passage.Au détour d'un lacet, une stèle , dernier souvenir des maquisards tombés dans ces bois. je pense à eux, souvent. Leurs âmes se sont sans doute fondues dans le sous bois moussu, ils font maintenant partie de ses secrets invisibles aux yeux des vivants.
En fin de parcours, alors que ma vie va reprendre son cours, avant que le regret de quitter ces lieux ne s'insinue, ma petite route m'offre son dernier présent: une clairière , au milieu de laquelle un vieil arbre tordu et solitaire a élu racines. Et chaque jour, c'est un décor nouveau qui m'est promis. Rose pour les petits matins joyeux, gris ardoise comme emmitouflé de laine, bleu métallique dans le ciel d'été, orange et ocre quand le soleil paraît... toutes les couleurs, toutes les nuances de la vie me sont offertes au jour naissant.
Alors, chaque matin , je remercie la vie de me donner encore ce nouveau jour pour pouvoir sentir, admirer, toucher, entendre sa beauté.
