scène de gare

 

 

 

 

Clermont -Ferrand. Il fait froid , un froid de l'est venu des contrées lointaines. La bise glaciale rougit les doigts et les joues, nous fait une bouille de clown au nez rouge.J'avance dans ce quartier inconnu pour rejoindre la gare. Je ne suis pas en partance, je suis en retour. je rentre chez moi ,ce chez moi douillet où on m'attend.

je n'ai jamais aimé les gares . Moi la terrienne, la sédentaire, elles sont le symbole de l'arrachement et de l'inconnu. les gens s'y croisent tout absorbés par leur cheminement. Militaires en fin de permission, amoureux qui s'étreignent une dernière fois encastrés l'un à l'autre. Personne n'est vivant. La joie a déserté les quais sales et malodorants.Les coups de sifflet et les appels répétés du haut parleur me transportent invariablement en d'autres temps ou les gares étaient le point de départ de longs voyages sans retour.

Clermont-Ferrant. Le hall de gare. Mon oeil balaie en un fragment de seconde la misère d'ordinaire invisible. Tout près du haut braséro se tient un soldat de la  guerre 14/18: une longue gabardine foncée dont la couleur autrefois a du être claire, les joues et le visage mangée par une barbe miteuse aussi noire que les ongles du soldat. Il se tient là, raide la main gauche crispée sur une canne. Je ne vois pas ses yeux dissimulés sous un drôle de képi mais son regard fatigué transperce la visière de son couvre-chef. Il se réchauffe aux lueurs orangés du braséro. ce la doit faire bien longtemps qu'il est là. Il ne part pas. il ne revient pas non plus. Il est un soldat oublié par ses paires. Les gens qui vont et qui viennent ne le voient pas. Leurs regards glissent sur lui comme nos larmes dans nos mains. Je voudrais lui parler , lui dire quelques mots, des banalités sans doute. Comment peut-on se réchauffer sans chaleur humaine quand on a perdu tout contact avec ceux de son espèce? Nos regards se croisent, alors lentement, raidement, le poilu se carre sur sa canne et s'éloigne du braséro.

Clermont-Ferrand, dimanche 5 février 2012. Je laisse derrière moi, derrière nous, un soldat inconnu dont la flamme n'est plus qu'une infime étincelle. Je repars à l'arrière dans ce monde qui ignore la guerre et la misère de ses compatriotes. Au front, déjà quelques soldats sont morts de froid et d'indifférence en ce week-end hivernal.

 

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