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195 pas

 

 

 

 

                Il y eut des étés lourds de chaleur enveloppante. Ils empesaient mes pas sur le petit chemin goudronné à la va-vite, laissant parfois sur la maigre couche de bitume, l'empreinte  fumante de mes sandales. Une fois montée jusqu'à la lisière du bois, je me souviens que je longeais cet écran provisoire de fraicheur en comptant les enjambées . Etait-ce 238 ou 258, je ne sais plus vraiment mais je sais qu'elles me conduisaient direct sur la "grande roue" qui menait droit à Travers -Chien . Il me restait encore en chemin à penser à ce drôle de nom. A force d'échafauder des hypothèses, j'avais fini par choisir celle qui me plaisait le plus: celle du chien qui avalait de travers. Enfin, j'arrivais à la forge de mon arrière grand-père, face à l'ancien bar du village qu'avait tenu sa femme autrefois. Une volée de marches et le lourd volet grinçant qui cachait la clé aussi longue que ma main. Souvent, je passais ces heures chaudes dans la grande salle , dérrière le grand zinc abandonné. Ca sentait les flonflons des fêtes d'antan, le petit vin rouge bouché, le moisi: parfum intime des vieilles demeures. J'imaginais le cheval fatigué par le labeur de la terre, se reposer, attaché à l'anneau du perron. Il y avait des trésors, des pichets ricard et les fers à repasser, le broc de mon arrière grand-mère et toute cette vie là que je pouvais sentir, que je pouvais rêver.

Et puis, je redescendais, machine arrière sur la grand route et le petit bois, arrachant au passage un épi de maîs pour en faire une poupée ou bêlant devant le parc à mouton pour les faire me répondre. C'était la Ballerie, maison des vacances enfantines et familiales. Des chiottes -maison en cabine téléphonique faisant face aux champs, le grenier empli de bonne paille ou nous faisions la sieste mon père et moi, le pot à lait tout cabossé et la bonne crème que nous nous disputions le matin, le poney solitaire friand des pommes acides, les grenouilles de la mare dont je voulais absolument arracher les pattes pour les faire cuire (!!!), le petit moulin à café dans lequel je glissais des graines de blé pour m'en faire des chewing-gums, les souris qui avaient élu domicile dans le lit cage ou je dormais, la vieille cuvette ou on balançait des casseroles d'eau fumante pour se laver.

Hier, 13 juillet 2011, je suis retournée en enfance . La petite maison s'est écroulée et une barricade de ronces et d'arbustes en empêche l'accès. Plus de mare ni de moutons. la nature a repris ses droits . Vous savez comme dans ces contes ou le temps s'est arrêté et que l'on protège avec une muraille épineuse. Peut-être que derrière, mon père fait encore un somme tout en haut de l'échelle. Sans doute que Mireille continue d'alimenter l'oisillon tombé du nid tandis que Gédéon le chat parisien la regarde . Peut-être qu'une petite fille boulotte s'évertue encore à compter ses pas ne sachant pas encore que le chemin est long qui l'éloignera à jamais del'enfance.  

195 pas , j'ai compté.

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