la création n'est pas raisonnable, elle ne s'enferme pas dans un projet,ne s'égrène pas en chapelet d'heures, elle n'est pas dicible non plus. C'est un acte d'amour primaire, un ressenti tactile et sauvage, hors de la pensée construite et du conscient.On est seul face à la matière quelle qu'elle soit: peinture, terre, écriture...Ce n'est pas rien d'être seule face à soi-même, abandonnée de nos couvertures sociales et normées, seule devant notre instinct premier. qu'est ce qui nous habite qu'on a laissé en friche en vieillissant? Où est-il ce monde bouillonnant que l'enfance portait en étendard et qu'on a fauché? Qui suis-je moi, au plus profond de mes cellules,dans ce corps si familièrement étranger?
A chaque première fois ou je pose mon pain de terre sur la cellette, je m'abandonne . Mes mains et mon regard se soudent, travaillant vite et quasi automatiquement. je n'ai pas connaissance de ce qui se trame , ça monte, ça monte. Parfois, la terre se vrille dessinant une courbe innatendue. je laisse faire. Le savoir-faire ne vaut rien s'il entrave cette érection d'argile. Je veux voir la puissance, la force brute de l'argile.Il me tarde de découvrir mon partenaire . Je ne sais rien de lui et pourtant il vient de moi. A moins que ce soit l'inverse?
Ensuite, ensuite....c'est une autre histoire qui conduit à laisser voir ce morceau de moi. Comme un miroir finalement. Beaucoup me demande ce que j'ai voulu montrer? rien, ma foi....mais de mon travail nait d'autres émotions, d'autres ressentis extérieurs aux miens et parfois fort différents. Je pense à ce couple médecin et adepte de la philosophie asiatique. Ma vieille vietnamienne au turban cramoisi les avait appelés. A moi, elle ne me disait rien et je l'ai gardée deux ans , impassible et muette sur la coiffeuse en marbre. A eux, elle leurs a délivré son secret.
Ainsi, la création voyage laissant derrière elle un sillon de plaisir émotionnel.
