Rodin

Il y a des visions qui vous prennent le corps et le coeur d'un bloc, qui vous chavirent l'âme comme un prémice au désir amoureux. Moi, c'est Rodin et plus particulièrement ses bustes. C'est difficile d'expliquer comment d'une terre inanimée peut se dégager une telle force de vie qui vient vous percuter les sens. Rodin est sans doute l'un des plus grands  portraitistes que son siècle aie porté. Avec Camille . Genre, dont ils furent tous les deux à la fois les maîtres académiques et les hérétiques.

Ce qui me touche dans son travail, c'est d'une part le geste assuré toujours visible . On pourrait presque , en le regardant, retrouver l'élan donné à l'écrasement de la terre, la largeur de son pouce carré. Comme ses dessins aux tracés successifs, on sent les multiples assauts qui confondus donnent la précision du trait , le modelé du crâne et de la musculature. Le bonhomme avait du métier, une vie de travail à percer les méandres du corps dans son intégrité, pour ensuite en rendre compte quasi chirurgicalement.

D'autre part, les bustes de Rodin portent en eux une dichotomie étonnante en ce sens qu'ils sont fragments d'un corps et unité propre. Les voyant, ils laissent à imaginer ce qui manque alors même que rien ne manque! L'alliance parfaite entre le vide et le plein, entre l'ombre et la lumière. Chacun n'existe que par l'autre.

Rodin, enfin, c'est la force brute.Cette géniale capacité à saisir l'invisible de l'autre . On peut sentir ce qui fait que nous ne sommes pas que des amas de molécules . Il s'empare de l'autre comme dans une bataille amoureuse, le pétrissant de son savoir, le mélangeant à ses visions artistiques et à sa propre humanité. Il emprisonne l'âme du modèle et  la laisse en pâture aux spectateurs que nous sommes.