l'ennui

 

 

 

"Je m'ennuie...comme je m'ennuie! Je ne sais pas quoi faire!"

Ainsi disent les enfants en mal d'occupation. Si ils savaient du haut de leur très grand ennui, combien ils touchent au luxe de la vie. J'ai toujours aimé m'ennuyer. Enfant seule que j'étais, née en un temps béni ou les adultes n'étaient pas encore à assouvir le moindre désir de leur progéniture  Je m'ennuyais ardemment avec une volonté farouche de ne rien faire pour que cesse cet ennui. Recroquevillée dans un coin, les coudes sur les genoux et la tête dans mes mains, je m'ennuyais avec constance et applicaton.

La première étqpe consistait invariablement à me plaindre en longs monologues intérieurs et silencieux. Je crois que c'est là ,en partie, que j'ai commencé à aimer les mots:. Les gros étaiet mes préférés: ronds et durs comme des calots. Interdits surtout ,et le simple fait de les cracher en rafales de mitraillette ou en articulant chaque syllabe comme autant de détonations solitaires, me remplissait d'une joie intense. Ensuite venaient les couleurs. A poings fernés et longuement frottés sur mes paupières, je laissais jaillir sous mes yeux clos, un écran de feu d'artifice. Zébrures éphémères et électriques , couleurs passagères et changeantes.

Souvent, je me faisais des souvenirs. Des souvenirs pour le jour lointain ou je serai grande. Je m'appliquais alors à regarder avec tous mes sens disponibles. Je me souviens parfaitement d'un été sur le sable où le grand ennui m'avait prise. S je ferme mes yeux aujourd'hui, me revient à mon oreille, parfaitement rendu, le bruit de la mer et du vent, de la famille alentour discutant . Je revois un à un tomber les grains de sable de ma main fermée. Libérés de leur prison, ils s'écoulaient comme une surprise ininterrompue: argent, noir, or , rond et plat,oval parfait, ombrés des reflets de l'azur. Je sens encore dans le creux de ma main vide leur empressement sauvage à redevenir plage et leur odeur salée et métallique.

Ne rien faire, laisser le temps aller; entendre tomber une à une les gouttes des secondes . Un luxe qui n est pas de mise en ces temps d'affolement, où on s'applique avec méthode, avec rage à combler le moindre interstice. De quoi à t-on peur ? Il faut pouvoir ressentir le vide pour faire le plein. Je regarde avec terreur cette vie proposée, cette couse folle et vide de sens mais toute pleine de vitesse, de corps sans relief, sans plaisir. Parfois, la frénésie m'emporte moi aussi, mais j'ai cette grande chance d'avoir succombée à l' ennui, au grand ennui, au magnifique ennui de mon enfance.

 Alors, soudain, je m'arrête.Recroquevillée dans un coin, les coudes sur mes genoux et la tête dans mes mains, je m'ennuie .je m'ennuie avec bonheur. Je fabrique des souvenirs pour le jour où je serai vieille....

 

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