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La jeune fille

Dans la vieille chambre fraîche traîne un parfum de fougère et de mousse .La belle armoire aux volutes dorées reflète le bureau et son fauteuil canné . Tous deux sont dans l'attente du corps qui viendra déposer ses mots sur le vieux plan de chêne patiné. J'aime cette vaste chambre, autrefois antichambre d'un atelier de tisserand. Pour peu que je tende l'oreille, j'entendrais facilement le clac clac mécanique de son métier fragmenter le temps en va et vient régulier. La fenêtre paraît presque incongrue au décor. Véritable écran translucide , elle laisse passer la rue et ses piétons par grappes menues et agglomérées. Fantômes bien vivants qui impriment  un  fugace halo coloré et informe sur mon rectangle de verre et dont les paroles s'étirent en écho sans que j'en puisse en comprendre le sens. je suis recluse volontaire dans ce sanctuaire magique et paisible. En retraite mais accompagnée. Sur le marbre noire et veiné de la commode trône un buste de terre. Je m'assois devant cette jeune beauté au visage lisse . Le nez est fin mais de caractère encadré par des yeux que je devine aussi clairs que de l'eau. L'arc des sourcils vient souligner un bombé des paupières racé, tout comme les pommettes hautes qui donnent à la jeune fille un air de fierté insolente. Je la regarde. j'admire la parfaite technique du sculpteur, ses finitions lissées et le style qui date son oeuvre. Mais ce que je vois au- délà du savoir faire maîtrisé me parle bien plus encore. Le regard du modèle , l'assurance tranquille de séduction qu'il dégage n'est pas pour moi. Elle a posé pour lui et ses mains à lui ont imprimé dans la terre un sentiment partagé. Une jeune fille à l'aube de sa vie dont le visage limpide est une  promesse sur l'avenir.

En quittant mon repaire Bornois, je retrouve cette jeune fille qui a veillé sur mon repos. Le vent de juillet court dans ses cheveux blancs qu'elle ramène d'un geste autoritaire et précis. Le regard est resté le même et je sais maintenant que je ne m'étais pas trompé sur la couleur . L'oval du visage s'est affaissé avec le temps et de multiples sillons indiquent les chemins de sa vie.  Son homme est mort. Mais elle, la vielle femme de 80 ans  a gardé la belle fille insolente qu'elle était .Je lui dis ma joie intime d'avoir partagé cet espace avec son beau portrait. Alors, dans un redressement saississant, la jeune femme  de la sculpture me regarde et laisse monter un rire cristallin; "j'avais 17 ans."

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