la vache et le prisonnier

Entre une route très passagère qui vomit chaque matin un ruban ininterrompu de voitures pressées et un green verdoyant où l'on vient chercher une campagne un peu guindée, il y a une vache. Une vache unique et solitaire qui trimbale sa robe blanche et noire ,de la botte de paille étalée à un vieil abreuvoir de guingois. Indifférente aux bruits du macadam , au vert bien ras que foulent les golfeurs, elle rumine. D'évidence, c'est sa condition d'animal doté d'une double panse . En cela rien à dire mais cette vache, me semble t-il, rumine par excès d'abandon. Je la vois bien qui ressasse sans arrêt sa triste condition de vache solitaire. Où est donc passé le troupeau du temps de la prospérité où l'on ruminait en cercle convivial autour du foin? évaporé, vendu , éparpillé, disséminé...elle se retrouve seule à remâcher dans son pré ce qu'elle ne parvient pas à digérer.

Seule , enfin, pas tout à fait. A côté de la vache, s'écroule une fermette. On la dirait chancelante, ancienne beauté solognote aujourd'hui masure en train d'agonir, si ce n'était la lueur bleue d'un écran de télévision pour seule preuve de vie.  Parfois, la porte s'entrouvre et libère alors le maitre de ces lieux et de notre vache esseulée.

L'homme jeune encore ,parcourt son domaine, le nez vers la terre, le dos déjà vouté et le pas collant au sol. Tout en lui s'incline dans un mouvement de pesenteur résignée. Il porte sur le visage une difformité étonnante, une machoire prognathe si prononcée qu'on la dirait elle aussi attirée par une force terrestre surpuissante. Sa laideur si peu commune, sa silhouette fruste et primitive, la pauvre apparence de son logis flamboient comme un étendard. Il m'intrigue, lui et sa vache. Il n'en faut pas moins à mon esprit galopant pour chaque matin leur assigner un passé et parfois un devenir. Le plus souvent, l'homme seul est une résurrection de Panturle le héros de regain. Il erre à la recherche de la femme qui lui rendra la fécondité de son être et de sa terre. Parfois, il ressemble à son image extérieure, un homme poussé loin de la civilisation moderne, ignorant des êtres et des soubresauts du monde moderne. Un pauvre hère qui rumine sa solitude et qui à l'inverse de sa vache ne pense pas. Tous les deux sont prisonniers de leur condition : à deux pas de la vie et de leur congénères et sans issue possible pour les atteindre.

Cependant, parfois, germe au fond de ma cervelle l'idée que cet homme affublé d'une vache est peut être plus délicat que d'autres que je connais. Sans doute parle t-il à sa bête avec autant d'amour qu'il lit les grands poètes. Peut-être sa solitude apparente et sa laideur repoussante ne sont qu'un étui à une âme bien née car un écrin miséreux peut cacher un trésor.  Alors, cet homme courbé comme une voute en berceau s'arrondit encore dans un geste de tendresse protectrice.

Et je me dis que peut-être, est- ce moi la prisonnière qui ne voit des autres que l'image première qui nous sert de passeport Dans ce monde truqué qui nous fait prendre le beau photoshoppé pour le raffiné où est la vérité?

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